Quelles sont nos nouvelles “relations” avec notre frère ou notre soeur décédé(e)?

  • Quelle communication ou intériorisation vivons-nous ?
  • Comment est-il ou elle présent(e) malgré sa mort ou au contraire absent(e) ?
  • Comment gérons-nous cette nouvelle relation : tristesse, angoisses, culpabilité, pardon, peur de l’oubli, etc…
    • Dans un premier temps, après la douleur du décès, je sentais que certaines de mes décisions, de mes réussites, étaient intimement liées à la “présence” de mon frère. Présence spirituelle certes, mais qui venait surtout du cœur. Je le sollicitais pour me donner un coup de pouce lors d’un examen, je discutais intérieurement avec lui en lui disant : “tu vois, je suis heureuse d’aller à cette fête” ou bien lorsque que j’étais triste, je tentais de trouver les mots pour lui dire qu’il me manquait, que j’étais malheureuse sans lui.
      Petit à petit, avec le temps, cette relation intime devint moins fréquente, je me détachais de plus en plus de lui et j’avais l’impression de vivre par mes propres moyens. Ce long travail de deuil permet la séparation d’avec la personne disparue, la quasi “acceptation” du manque.
      Aujourd’hui, mes relations avec lui sont plus sereines, elles sont dans mes souvenirs d’enfance lorsque nous jouions ensemble…
      Certes, parfois la culpabilité liée à la peur de l’oubli, certaines angoisses resurgissent. Mais les années passant m’ont appris à mieux apprivoiser la mort.
      Et vivre détachée de ceux que l’on aime, ne signifie pas abandonner ces personnes.Une sœur.

    • Bonjour,
      En réponse à la demande de témoignage parue dans votre N° 2 : mes relations avec mon frère suicidé, sont plutôt bonnes, car paisibles la plupart du temps, maintenant au bout de 2 ans.
      C’est un mélange de mélancolie, de souvenirs rémanents, de regrets de ne plus pouvoir communier à travers de nouvelles musiques, d’être privé de l’expression charnelle d’une complicité propre de la fratrie, construite de tant de moments partagés…
      Les notions de culpabilité et de colère s’éloignent globalement même si elles viennent aiguiller mon repos de temps en temps. Etienne est là prés de moi, non pas sans cesse, comme une gêne, mais comme une douce présence, que cette fois personne ne pourra me ravir… Et je ne suis plus inquiet pour lui !
      Ma vraie torture est provoquée par l’attitude de la mère : demandant des témoignages écrits à tous ceux qui ont approché mon frère, témoignages qu’elle photocopie et envoie à toute la famille… Ceux-ci sont orientés, tronqués, réducteurs : qui peut refuser à une mère ayant subi un tel traumatisme, de lui écrire ce qu’elle veut entendre. Il s’agit de compassion et cela peut sembler louable…
      Ma torture vient du fait que l’image ainsi diffusée de mon frère s’éloigne de sa réalité passée et d’une certaine façon célèbre un autre que lui, que ses qualités et ses défauts ancraient dans la réalité humaine. J’imagine ne pas être le seul à ressentir ces émotions et à vivre cette situation pénible ; puisse mon témoignage servir à d’autres ou éclairer certaines mères.Paul de Haut.

    • Je m’appelle Claire, j’ai 20 ans et mon frère s’est suicidé le 7 septembre dernier. Aujourd’hui encore, bien que cela fasse maintenant 8 mois, je ne peux m’empêcher de m’en vouloir, d’en vouloir à mon frère et d’en vouloir aussi à ma mère. Je m’en veux car il s’est suicidé en se jetant d’une des tours de St Sulpice et que la veille de son suicide, je suis passée juste à côté et que j’aurais dû y être le jour même, c’était dans mon programme que j’ai changé en dernière minute.
      J’en veux à mon frère parce qu’il est parti sans que j’aie pu lui dire que je l’aimais et que j’ai toujours l’impression qu’il est absent de ma vie. J’en veux à ma mère parce qu’elle a eu mon frère au téléphone le matin de sa mort et qu’elle lui a refusé le droit de venir à la maison. Je sais très bien que c’était pour le bien de mon frère, pour qu’il se fasse soigner (il souffrait d’une maladie psychiatrique), mais je ne peux pas m’empêcher de penser que si elle avait accepté de le voir, il serait encore en vie aujourd’hui.Claire.
    • Lors du décès de mon frère Jean-Paul le 26 mars 1998, par leucémie et cancer des os, à l’âge de 23 ans, je m’en suis voulue de son décès, pourquoi je n’en sais rien exactement. J’en ai parlé à deux amies, qui m’ont beaucoup aidé lors du décès de mon frère. Elles m’ont répondu “Pourquoi tu t’en veux, pour quelles raisons ? ” Je leur ai dit que je n’ai pas su lui donner l’amitié dont il avait besoin, je n’étais pas là quand il a pris son malaise, alors que quand je suis partie vers 13 heures pour aller faire un remplacement au boulot, il était bien, rien ne supposait qu’il allait mourir dans les heures suivantes. Et elles m’ont répondu : “Tu as fait ce que tu pouvais faire, tu lui as donné ta moelle osseuse et tu pouvais rien faire d’autres”. Il m’arrive parfois d’avoir une vision de lui aussi bien dans la journée quand je réfléchis ou même quand je rêve la nuit. On m’a dit c’est signe qu’il me veut ou me parler. Il est vrai qu’avec le temps, la culpabilité de son décès s’est envolée. Il m’arrive encore parfois d’avoir les larmes aux yeux lorsque j’en parle encore ; mais je ne suis pas triste, je rigole. Il est vrai qu’il me manque mais je me dis que c’est le destin.Marinette, Chambéry Le Haut.
    • Cette étrange présence absence.

      Le 13 mai 1996, un accident t’enlevait la vie… Depuis il a fallu vivre “avec”. Ce fut d’abord le choc, la douleur de l’inacceptable, le refus, la révolte…et puis le temps a permis de faire du chemin et d’accepter. Accepter cette absence, ce manque… Ce qui ne sera plus, ce qui ne pourra pas être. Et pourtant tu es présent. Sous forme de clin d’œil parfois… Parce que tout ne va pas comme je le souhaite, parfois, un coup de blues m’envahit, et voilà un air de musique que tu aimais beaucoup passe à la radio : c’est soudain un coup de baume au cœur !
      Certes cela peut paraître insignifiant à vos yeux mais ce que je ressens sur le moment ne me trompe pas il y a bien quelque chose, une présence que je ne vois pas mais qui appartient au domaine du ressenti. Tout cela est subjectif mais cela fait du bien. Parfois en relisant l’enchaînement de certains faits je me dis qu’il y a eu un coup de pouce du destin et pour moi c’est toi Philippe qui est derrière cela ! Et puis il y a mes “monologues intérieurs”, souvent le soir avant de m’endormir ou au réveil, pour te dire ce qui se passe dans ma vie, te demander de l’aide ou ton avis…. Alors pour moi cela ne fait guère de doute, on est simplement séparé. Un lien demeure entre nous : il est différent parce que plus personnel : je ne peux pas le partager avec quelqu’un d’autre, il est comme intérieur… C’est pourquoi je parle d’étrange présence absence, … parce que tu n’es plus du monde des vivants mais que tu es présent malgré tout.

      Pascale.

    • A toi, mon grand frère Pierre-Philippe, qui s’est suicidé en septembre 98 à 27 ans. Moi, j’en avais 25. Quelle bizarre “nouvelle” relation, il a fallu commencer ! Ton geste est venu tout bouleverser sur toi, sur moi, sur la vie. Au départ, tu ne peux être que présent, car ce sont les premières heures, premiers jours et premiers mois qu’on te vit absent. Il faut te dire une dernière fois au-revoir, il faut vivre les premiers temps, que tu ne verras pas. Ta souffrance et ma nouvelle souffrance se confondent. Il faut comprendre, il faut se remettre en cause, je perçois d’un coup quelle place importante tu avais dans ma vie, ce frère avec qui j’ai grandi. Tu ne peux qu’occuper l’esprit, je cherche surtout à trouver de bonnes raisons, tu es absent mais soulagé car loin de tes souffrances, tu as été poussé par quelque chose que tu ne pouvais plus maîtriser, je prends conscience que tu n’es pas le seul cas dans cette détresse, très vite, je ne t’en veux pas. Ca servirait à rien. C’est plutôt moi, qui rentre dans ce processus inévitable de la culpabilité. Assez vite, tu vas être présent dans mes rêves, je vais te dire ce que je n’ai pas pu te dire de ton vivant, tu vas te montrer très mal ou au contraire très bien. Cela a été et c’est encore aujourd’hui une chance d’avoir cette relation virtuelle entre nous, avec l’impression de te “revoir” dans le sommeil, c’est comme vrai ! Petit à petit, je m’habitue à cette absence physique, il y a des déclics inattendus et inexplicables, je comprends aussi qu’il ne faut pas culpabiliser. Cela revient par petites pointes incontrôlables, qui repartent vite. On ne pouvait pas te forcer à être aidé jusqu’au dernier instant, aussi tu n’as pas eu la chance d’être bien soigné au départ, je ne peux pas tout empêcher. Je me dis qu’il faut te laisser tranquille et que j’ai aussi d’autres relations à entretenir et à ne pas laisser tomber autour de moi. Je trouve une force venant de toi pour être attentive et faire quelque chose pour la prévention du suicide, pour que tu ne sois pas parti comme ça pour rien, pour faire entendre ton appel au secours. Tu es toujours présent régulièrement à travers les souvenirs évoqués, des objets, des lieux, des évènements, des personnes et bien d’autres choses, de façon triste ou de façon joyeuse, ça dépend. J’ai maintenant 28 ans, pour la première fois je suis plus grande que toi quelque part. Je m’y suis préparée. Désormais, c’est comme ça. Avec notre autre frère, on a une fratrie à continuer à faire vivre, tu nous as donné une sacrée leçon et un sacré héritage. Tu ne peux pas être oublié. Cela prend encore plus de sens alors que je vais bientôt donner la vie.

      Nathalie.